Bordeaux Aquitaine Marine
La préparation de la morue - 1864
extrait de La Revue Maritime et Coloniale de mars 1864
Le ministre de la marine et des colonies a adressé la circulaire suivante aux autorités maritimes des ports :
« Messieurs, d’après les informations parvenues, à
différentes époques, au département de la marine, les morues
de pêche étrangère sont souvent admises sur les marchés de
nos colonies de préférence à celles introduites par nos
nationaux.
Cette préférence ne serait pas établie en raison de la
provenance du poisson, qui est généralement la même, mais
bien de sa préparation, qui diffère selon qu'elle a été opérée
par les Anglais, les Américains ou les Français.
le travail à bord vers 1920
L'attention de notre commerce a déjà été appelée sur les
avantages qu'il y aurait à employer, pour la conservation de la
morue, de meilleurs procédés que ceux actuellement en
usage, et je crois utile de porter à votre connaissance, pour
être communiqués aux chambres de commerce des ports
intéressés dans les expéditions pour la pêche de la morue, les
passages suivants, extraits d'une note que m'a récemment
remise M. le comte de la Ronciére, ex-commandant des îles Saint-Pierre et Miquelon.
D'une bonne préparation,judicieuse et bien comprise, dépendent la conservation du poisson et son transport, sans risque de détérioration, dans les
pays tropicaux où il doit arriver blanc, sec et en état d'attendre l'heure où il pourra être employé. J'ai lieu de croire que la pêche de la morue, telle
qu'elle se fait aujourd'hui sur le grand Banc, sur ceux qui avoisinent nos îles, laisse beaucoup à désirer.
Les navires qui se rendent sur le grand Banc restent environ deux mois sans rallier le port. Au fur et à mesure que le poisson arrive la bord, il est salé
et disposé dans la cale qui n’est aérée que par le panneau. Le mauvais temps force à le tenir d'autant plus souvent fermé que le bâtiment est plus
petit. Il en est à peu près de même pour les navires qui pêchent sur les autres bancs ou qui défilent le golfe. Un séjour aussi prolongé dans le sel,
quand quelques jours seulement suffisent, ce manque d'air, me paraissent devoir influer, dès le principe, sur la qualité du poisson.
Les produits de la pêche locale sont pour ainsi dire quotidiens. S'ils n'ont pas les mémes inconvénients que les autres, ils ont ceux d'être trop salés,
avec un sel trop gros et pas assez blanc. Après avoir été lavé dans l'eau de mer, le poisson est étendu sur les grèves pour y sécher. C'est la partie
importante de la préparation. Elle est, selon moi, mal entendue, trop lente, et ne peut produire que des résultats au moins médiocres.
Le mode de dessiccation me parait aujourd'hui d'autant plus mauvais que le climat de nos îles s’est beaucoup modifié et parait se modifier encore.
Les hivers sont moins longs et moins durs; mais les
étés ont moins de soleil, ils sont plus brumeux, il pleut
davantage, et l'humidité de l'atmosphère est telle que
l'aiguille hygrométrique dépasse presque toujours les
cent divisions. Les vents du nord-ouest, qui régnaient
autrefois une partie de la saison de la pêche, et qui
contribuaient si puissamment à une prompte et
parfaite dessiccation, sont plus rares et ne durent
souvent que fort peu.
les boucaux qui contiennent la morue salée au 18e
Le sol qui forme les grèves doit nécessairement s'en
ressentir. La morue qu'on y étend, par cela seul qu'elle est salée, attire l'humidité; il faut alors plus de temps et une manipulation d'autant plus
longue qu'il pleut plus souvent et que les brumes sont plus persistantes. Le poisson, déjà mal préparé à bord, ne peut être qu'imparfaitement
séché, et quand il est emboucauté[1], il est difficile qu'il supporte toujours une traversée de trente jours, même de trois mois, sous des
températures élevées.
A mon avis, c'est cette préparation défectueuse, le mauvais aspect du poisson, et souvent sa détérioration qui forcent les commissions à le refuser à
la vente et à la prime ; mais il devrait toujours être admis comme engrais. Peut-on mieux faire? Je le crois.
Plus d'un million de morues au vert, c'est-à-dire seulement salées, sont transportées chaque année en France. On les y prépare, soit pour la
consommation, soit pour l'exportation.
Je ne sache pas que partout il y ait des grèves. Je sais, au contraire, que le poisson est suspendu par la queue sur des cordes ou des bâtons, ou placé
sur des claies; ces méthodes me paraissent meilleures. Rien n'empêche de les employer à Saint—Pierre. Suspendu, le poisson profiterait sur toutes
ses faces du moindre courant d'air. A l'exception de la nécessité où l'on est de le mettre ce qu'on appelle en fumier, pendant un certain temps, il
pourrait rester ainsi jusqu'à parfaite dessication.
Une vue d’atelier et de la technique de
pêche pour saler et sécher la morue à
Terre-Neuve au 18e.
légende de la gravure
A. Tenue du pêcheur - B. Le ligne - C. la
méthode de pêche. - D. les pareurs. - E. baquets
où sont jetés les filets de morue parés. - F.
Boîtes de sel. - G. La manière de transporter la
morue. - H. Le nettoyage des morues. - I. La
presse à extraire l’huile des foies de morue. - K.
Tonneaux de réception du sang et de (… )
provenant des fois. - L. Tonneau de réception de
l’huile. M. Méthode de séchage de la morue.
Le bois n'est pas cher, il serait facile
d'installer des sortes de hangars qui, tout
en garantissant de la pluie, permettraient
la
circulation de l'air. Cela épargnerait une
grande partie de la main d'oeuvre
nécessaire aujourd'hui pour étendre la
morue, la retourner, l'enlever pour la
mettre en meulon[2], chaque fois qu'il
pleut, et la rétendre encore.
Le poisson séchant mieux et plus vite
serait d'une conservation plus certaine. Si,
en outre. on le préparait à l'anglaise,
comme dans quelques-unes de nos pêcheries du golfe, c'est à-dire en employant un sel plus fin, plus blanc, et en en mettant moins, j'ai la
conviction que les déceptions éprouvées_ par les armateurs seraient très-rares.
Parmi les améliorations à introduire, il y a encore les étuves à air chaud et froid. Établies selon les règles, elles pourraient fonctionner à bon compte
dans un pays où le combustible n'est pas cher. Cela deviendrait une industrie spéciale.
Bien des modifications qui diminueraient les frais sont à poursuivre. Quarante à quarante-cinq navires sont entretenus par les armateurs
uniquement pour le transport de la morue aux Antilles. La traversée est en moyenne de vingt cinq jours. Je crois que quatre à cinq bâtiments à
hélice, construits de façon à mettre le chargement à l'abri de la chaleur des feux, suffiraient pour ces voyages. Ils seraient entretenus à frais
communs. Les produits, en arrivant ainsi plus promptement, risque raient moins de se gâter; en outre, il serait plus facile de calculer les départs
selon les besoins. On trouverait encore un fret de retour dans des bois ou dans des marchandises des États-Unis ».
notes
(1) Littré : mettre en boucaut - « La morue ne pourra être dirigée sur le port de départ qu’après avoir été emboucautée ». (Ordonnance du 25
février 1842, article 8).
(2) Diminutif de meule.