Bordeaux Aquitaine Marine
Corsaires de Salé à la fin du 18e siècle
extrait de la Gazette du Commerce du 4 mai 1765
nota : nous avons conservé l’orthographe d’origine à l’exception des «f» convertis en «s».
Réflexions sur les armemens des Saletins sur les moyens de parer à l'abordage de ces Forbans.
Le port Par John Ogilby (1600-1676)
Les
progrès
rapides
qu'a
faits
depuis
quelques
années
la
marine
des
Saletins
(1),
doivent
nécessairement
donner
de
l'inquiétude
aux
Etats
commerçans
de
l'Europe
;
&
malheureusement
tour
concourt
encore
à
augmenter
leur
puissance
par
les
prises
qu'ils
font
journellement,
par
les
équipages
des
Navires
que
la
misère
&
les
mauvais
traitemens
forcent
à
s'enrôler
au
service
de
ces
pirates
;
enfin,
par
les
secours
qu’on
leur
donne pour avoir la paix avec eux.
Avant
1755
les
Saletins
n’étoient
point
à
craindre:
ils
ne
pouvoient
armer
que
de
petits
Corsaires
montés
de
4
à
6
canons,
&
leurs
croisières
ne
s'étendoient
point
au-delà
de
la
Méditerranée
;
mais
depuis
cette
époque,
le
tremblement
de
terre
arrivé
à
Lisbonne
(3),
s’étant
aussi
fait
sentir
sur
les
côtes
de
Barbarie
,
la
Barre
de
Salé
s'est
ouverte
&
y
a
laissé
22
à
24
pieds
d’eau,
ce
qui
donne
la
facilité
de
faire
entrer
des
vaisseaux
de toute grandeur.
En
général
les
Saletins
prennent
les
Navires
plutôt
par
surprise
que
par
force.
En
effet
,
dès
qu'ils
les
apperçoivent,
ils
mettent
pavillon
d'Alger
(qui
est
rouge),
ils
font
route
sur
eux,
&
à
la
portée
de
la
voix,
ils
se
disent
Algériens
&
ordonnent
aux
Capitaines
de
faire
mettre
la
Chaloupe
à
la
mer,
&
de
venir
leur
parler.
Quelques-uns
ont
été
assez
simples,
sur
ces
apparances,
de
suivre
ce
qui
leur
étoit
prescrit
:
aussi
ont-ils
été retbus par ces Forbans et leurs Navires enlevés bientôt après.
Tous
nos
capitaines
qui
rencontrent
des
Algériens
à
la
mer,
sont
obligés
de
mettre
en
panne,
&
de
se
faire
connoître
pour
François,
par
l'exhibition de leurs passeports &
expéditions,
faute
de
quoi,
ils
essuyeroient
quelques
volées
d’artillerie,
toujours
désagréabIes
pour
des
Navires
Marchands
qui
n'oseroient
y
riposter
sans
compromettre
le
Pavillon
de
la
Nation.
Cette
formalité
leur
est
prescrite
dans
une
dépêche
de
M.
Rouillé,
du
14
Juin1750
;
mais
ce
qui
pouvoit
être
alors
utile
par
rapport
aux
Algériens,
pour
éviter
des
actes
d’hostilité
de
leur
part,
est
aujourd'hui
pernicieux
à
l’égard
des
Saletins
puisque
cela
leur
procure
un
nouveau
moyen
de
prendre
nos
Navires
;
&
il
seroit
bien
à
désirer
que
nos
Capitaines
fussent
dispensés
d'aller
à
bord
des
Algériens
reconnus
pour
tels,
sauf
â
ces
derniers
à
venir
eux-mêmes,
en
cas
qu'ils
le
désirassent, & sans armes, à bord de nos Navires, reconnoitre ce qu'ils font.
Quoi
qu'il
en
soit,
le
Sr.
Alottard,
Capitaine
du
Navire
la
Jeune
Gentille
,
d'Honfleur,
a
éprouvé
lui-même
la
conduite
équivoque
des
Saletins
:
il
fut
rencontré
par
un
de
leurs
Chabecks
(2),
qui
arbora
pavillon
&
flame
Turcs
à
son
petit
mât
de
perroquet,
&
qui
étant
à
la
portée
de
la
voix,
se
dit
hardiment
Algérien.
Cet
Officier
avait
eu
la
prudence
de
se
préparer
à
tout
événement
au
combat,
&
sur
son
refus,
de
mettre
sa
Chaloupe
à
la
mer,
&
d'aller
parler
au
Corsaire,
il
en
reçut
une
volée
de
canon
&
de
mousqueterie.
Cependant
le
Chabeck
monté
de
26
canons
&
de
250
hommes d'équipage, l'aborda & le prit après un combat assez opiniâtre.
La
lettre
du
Sr.
Mottard
à
son
Armateur,
donne
bien
des
lumières
sur
ce
que
le
commerce
maritime
de
France
a
à
craindre
de
la
part
de
ces
Pirates
:
«
J’ai
(dit.il)
entendu
dire
à
un
Capitaine
Renégat
qui
est
bon
Marin,
que
si
la
paix
ne
e
fait
pas,
rien
ne
l’empêchera
d’aller
sur
le
banc
de
Terre-Neuve,
dans
les
parages
de
la
Bermude,
y
attendre
nos
Navires
revenant
des
Colonies,
&
même
de
croiser
à
l'Ouest
de
Madère,
pour
y
prendre ceux qui vont d'Europe en Amérique ».
Un
autre
capitaine
arrivé
dernièrement
de
Gibraltar,
dit
avoir
parlé
à
des
Saletins
qui
étaient
venus
y
apporter
des
vivres,
&
qui
l'avoient
assuré
que
du
15
Mars à la fin d'Avril, ils devoient mettre en mer quinze Corsaires de force.
Toutes
ces
nouvelles
seroient
capables
d’allarmer
le
commerce
de
France,
si
d’un
autre
côté
il
n'étoit
rassuré
par
les
armernens
qu'il
a
plu
au
Roi
d'ordonner
dans
ses
Ports,
&
par
ceux
préparés
en
Espagne
&
en
Portugal,
ainsi
que
dans
quelques
Etats
d'Italie
;
mais
comme
les
Cbabecks
Saletins
se
répandront
sans
doute
encore
plus
dans
l'Océan
que
dans
la
Méditerranée,
j'ai
cru
pouvoir
hazarder
quelques
réflexions
tendantes
à
prévenir
la
prise
de
nos
Navires,
&
l’esclavage
des
équipages.
Le port par Jan Luyken
Tous
ceux
qui
ont
eu
affaire
contre
ces
Pirates,
assurent
unanimement
qu'ils
ne
sont
à
craindre
qu'à
l'abordage,
à
cause
du
grand
nombre
d'hommes
qu'ils
mettent
sur
leurs
Corsaires.
Or,
en
prévenant
cet
abordage,
on
peut
donc
éviter
d'âtre
pris.
Pour
y
parvenir,
je
proposerois
aux
Armateurs
qui
expédient
des
Navires
pour
la
Méditerrannée,
&
même
pour
Guinée
&
les
Colonies
de
faire
faire
des
bordages
de
sapin
de
15
à
18
pouces
de
hauteur,
sur
1
pouce.
&
demi
d'épaisseur
de
larder
les
bords
dessus
&
dessous
de
pointes
de
fer,
&
la
partie
en
dehors
de
clous
à
crochets
à
4
doigts
les
uns
des
autres
dont
la
pointe
serait
un
peu
rebroussée
en
dehors.
On
feroit
des
meurtrières
éloignées
entr'elles
d'un
pied
½
de
distance
dans
ces
bordages
qui
seraient
placés
tout
au
tour
du
Navire
sur
des
pattes
également
hérissées,
à
telle
hauteur
qu'on
voudrait
les
élever
&
emboîtées
dans
des
clavettes
de
fer
sur
les
bords
du
Navire
,
de
façon
à
ne
pouvoir
âtre
enlevées
ni
gêner
les
manœuvres.
0n
pourroit
ôter
&
mettre
à
volonté
ces
bordages
;
enfin
,
les
arranger
sur
le
pont
les
uns
sur
les
autres
pour
qu’ils
n'embarrassassent
point,
&
dans
l’occasion
ils feraient aisément placés.
Ces
bordages
formeraient
un
bastingage
(ou
retranchement)
naturel.
Le
Navire
abordé,
nul
homme
ne
pourroit
entrer
dedans
sans
être
déchiré
ou
estropié
par
les
pointes
de
fer
ou
clous
à
crochets,
ou
même
tué
à
l’instant
d'un
coup
de
pique,
de
pistolet,
&
par
ceux
qui
le
défendroient,
&
qui
derrière
ces
bordages
seroient
à
couvert
de
la
mousqueterie.
Plusieurs
Capitaines
à
qui
j'ai
communiqué
cette
idée
,
m'ont
tous
assuré
qu'il
seroit
impossible
d'être
pris
à
l'abordage
en
cet
état,
pourvu
que
vingt
hommes
seulement
se
battissent
bien
&
qu'ils
en
pourraient
même
tuer
une
centaine
dans
un
quart
d'heure.
L'abordage
ne
pourrait
donc
se
faire
que
par
les
haubans;
mais
il
seroit
d’autant
moins à craindre, qu'un homme étant obligé de se servir de ses mains pour se tenir, serait sans défense & ne pourroit faire usage de ses armes.
Il
y
aurait
encore
d'autres
moyens
d'écarter
l'abordage
de
ces
Forbans
:
ce
seroit
de
faire
charger
toutes
les
armes
avec
des
chevrotines,
sur-tout
les
pierriers
&
les
biscayens
(4).
Les
canons
outre
le
boulet,
pourroient
être
chargés
de
chemises
souffrées
;
on
jetteroit
des
boules
d'artifices
dans
les
vaisseaux
de
ces
Barbares
,
des
grenades,&
tous
moyens
pris
avec
de
tels
gens.
Ce
seroit
des
avantages-
que
l’on
auroit
sur
eux,
parce
que,
n'attaquant
les
Navires
que
pour
les
prendre
&
non
pour
les
détruire,
il
ne
seroit
point
de
leur
intérêt
de
se
servir
de
pareils
moyens qui feroient tomber leurs armemens en pure perte.
Toute
cette
dépense
ne
monteroit
gueres
qu'a
800
ou
1000
LT,
&
c'est
un
trop
faible
objet
pour
négliger
de
mettre
un
Navire
en
sureté.
D'ailleurs,
les
équipages
se
voyant
en
état
de
résister,
en
combattroient
d'autant
mieux,
qu'il
n’est
presque
plus
possible
de
les
racheter
de
l’
esclavage, les Saletins faisant monter à présent les rançons depuis 4000 jusqu’à 20000 LT (5).
notes :
1
)
habitants de Saké.
2
)
Chabeck s’écrit de nos jours «chébec».
3
)
Le terrible tremblement de terre de Lisbonne a eu lieu à partir du 1er novembre 1755.
4
)
le biscayen est un petit boulet ne dépassant pas une livre, utilisé pour le tir à la mitraille.
5
)
LT pour livre tournois, monnaie de l’époque.