Bordeaux Aquitaine Marine
Un transport de prisonniers français en Angleterre en 1804
par G. Pariset (Professeur à la faculté des lettres de Nancy - 1929)
On
dit
souvent
en
France
que
les
Anglais
ont
l'habitude
de
commencer
la
guerre
avant
de
la
déclarer,
et
qu'ils
tirent
profit
de
cette
pratique.
Si
le
fait
est
exact,
—
il
est
beaucoup
plus
compliqué
qu'il
n'en
a
l'air
et
il
serait
sans
doute
difficile
d'en
donner
une
démonstration
probante,
—
il
ne
constituerait
cependant
pas
le
plus
original
des
procédés
de
guerre
dont
usent les Anglais.
C'est
pour
eux
un
principe
dont
ils
ne
se
sont
jamais
départis,
du
moins
pendant
les
luttes
de
l’époque
révolutionnaire,
de
faire
toujours
le
plus
grand
nombre
possible
de
prisonniers.
Trois
grandes
guerres
ont
mis
aux
prises
la
France
et
l'Angleterre
à
la
fin
du
18e
siècle
et
au
commencement
du
19e,
et
trois
fois
les
Anglais
se
sont
livrés
systématiquement
à
de
gigantesques
rafles
d'hommes,
qu'ils
capturaient
partout
en
mer,
aux
deux
Indes, en Europe même, et qu'ils, expédiaient dans leur ile, devenue comme une vaste geôle.
Les
chiffres
les
plus
élevés
des
prisonniers
français
faits
pendant
les
guerres
de
l'Indépendance
d'Amérique,
de
la
Révolution
et
du
premier
Empire,
semblent
avoir
été
atteints
en
1781,
1798
et
1811.
A
ces
trois
dates,
l'Angleterre
avait
détenu
environ
44.000,
27.000
et
47.000,
soit
au
total
118.000
hommes.
Le
nombre
des
prisonniers
anglais
faits
en
1781
par
la
France
ne
nous
est
pas
connu
;
mais,
en
1798,
il
ne
dépassait,
pas
6.000,
et,
en
1811,
il
oscillait
entre
10.000
et
12.000.
Si
les
chiffres
manquent
ou
ne
peuvent
être
donnés
approximativement,
c'est
que
la
France
accordait
peu
d'attention
aux
prisonniers
qu'elle
faisait,
ou
qu'elle
laissait
faire
parmi
ses
propres
soldats.
Au
contraire,
le
gouvernement
britannique
tenait
une
comptabilité
soigneuse
des
ennemis
qu'il
détenait,
et
il
n'ignorait
aucun
des
avantages
que
lui
valait
la
supériorité
numérique de ses prisonniers français.
En
cas
d'échanges,
—
homme
pour
homme,
grade
pour
grade,
—
la
balance
devait
toujours
se
solder.
à
son
avantage.
Et
puis
l'Angleterre
avait
annulé
la
marine
marchande,
décimé
les
corsaires,
dépeuplé
les
colonies
de
leurs
chefs,
paralysé
la
marine
de
guerre,
et
;
diminué,
dans
des
proportions
sensibles,
le
personnel
militaire
et
naval
de
la
France.
Pendant
les
guerres
du
premier
Empire,
les
Anglais
allèrent
jusqu'à
s'attribuer
les
prisonniers
faits
en
Espagne
par
les
Espagnols,
tant
ils
tenaient à voir leurs pontons pleins.
Sur
les
47.000
prisonniers
détenus
vers
1811,
i1
y
avait,
d'après
les
estimations
de
l'Amirauté
britannique,
environ
44.000
Français,
la
différence
étant
constituée
par
les
Hollandais,
Danois,
Allemands
et
autres
étrangers
pris
comme
alliés
de
la
France
ou
incorporés
aux
troupes
françaises.
Un
état
dressé
en
mai
1810
par
le
Transport
Board
(qui
était
spécialement
chargé
du
soin
des
prisonniers),
donne
le
détail
précis
des
Français
alors
retenus
en
Angleterre.
Leur
total
était
exactement,
de
43.683,
dont
25.204
marins
de
la
flotte
(navy)
et
18.479
soldats
de
l'armée
(army).
Les
«
marins
»
comprenaient
non
seulement
les
officiers
et
matelots
des
farces
navales
françaises,
mais
encore
les
Capitaines
de
corsaires
ou
de
bateaux
marchands,
leurs
matelots,
les
médecins,
comptables
et
agents
préposés
aux
vivres,
et
les
«
civils
»
:
voyageurs,
passagers
et
marchands.
Il
en
allait
de
même
pour
le
personnel
des
«
soldats
»,
avec
cette
seule
différence
que
les
«
civils»
ou
«
non-com¬battants
»
semblent
avoir
été
recrutés
surtout
parmi
les
colons
ou
créoles
en
résidence
aux
colonies,
et
faits
prisonniers
sous
divers
Prétextes.
Napoléon
avait,
du
reste
assimilé
aux
prisonniers
de
guerre
tous
les
Anglais
qui
se
trouvaient
en France lorsque les hostilités recommencèrent.
Le
mode
de
détention
des
prisonniers
en
Angleterre
variait
suivant
leur
grade.
Les
officiers
ou
assimilés
étaient
astreints
à
habiter
«
sur
parole
»
certaines
villes
de
province
;
les
autres
étaient
placés
«
en
confinement
»
dans
des
prisons
ou
sur
les
pontons.
On
comptait
23.711
marins
et
17.400
soldats
«
en
confinement
»
et,
par
conséquent,
1.493
marins
et
1.079
militaires
«
sur
parole
».
Il
y
avait,
parmi
les
prisonniers
sur
parole,
814
et
851
officiers
proprement
dits
;
les
assimilés,
au
nombre
de
679
et
228,
comprenaient
les
capitaines
de
corsaires
et
de
vaisseaux
marchands,
les
médecins,
chirurgiens
et
agents comptables et les civils, tant navals que terrestres.
Dans
quelle
proportion
tous
ces
chiffres
doivent-ils
être
majorés,
si
l'on
veut
savoir
au
total
combien
de
Français
ont
passé
par
les
prisons
de
l'Angleterre
pendant,
le
premier
Empire
?
Il
est
bien
difficile
de
le
déterminer
:
Les
décès,
les
relaxations,
les
échanges,
les
évasions
créaient
incessamment
parmi
les
prisonniers
des
vides
que
comblaient
aussitôt,
et
au-
delà,
les
captures
nouvelles.
La
statistique
de
ces
mouvements
n'a
pas
encore
été
faite,
mais
elle
se
chiffrerait,
sans
doute,
par
une
proportion
relativement
très
élevée.
Pour
ne
citer
que-
les
échanges,
l'Amirauté
britannique
calculait
en
mai
1810
que
3.484 Anglais avaient été libérés par le gouvernement
français, contre 7.182 Français.
Si
l'on
admet
—
en
généralisant,
non
peut-être
sans
quelque
témérité,
le
rapport
fourni
par
un
certain
nombre
d'exemples
de
détail
—
qu'il,
y
avait,
en
moyenne,
deux
décès
ou
disparitions
pour
une
libération,
il
faudra
ajouter
14.000
à
7.182,
et
ajouter
encore
ce
total
de
plus
de
21.000
au
chiffre
global
des
43.683
prisonniers
effectivement
détenus
.en
mai
1810.
En
sept
ans,
de
1803
à
1810,
plus
de
60.000
Français
auraient
donc
connu les prisons d'Angleterre.
Enfin,
si
l'on
tient
compte
des
émigrés
nobles
et
ecclésiastiques
—
qui
avaient
cherché
refuge
dans
l’île
et
continuaient
à
y
résider
sous
le
premier
Empire,
on
arrivera
à
cette
conclusion
paradoxale
que
jamais
les
Anglais
n'avaient
vu
chez
eux
tant
de
Français
que
depuis
la
rupture
de
toute
relation
régulière
entre
les
deux
pays.
En
règle
générale,
tous
les
prisonniers
faits
par
les
Anglais,
ou
dont
les
Anglais
obtenaient
la
possession,
étaient
dirigés
sur
l'Angleterre.
L'Amirauté
britannique
n'entretenait
au
dehors
que
deux
dépôts
de
prisonniers,
à
Malte
et
à
Halifax
en
Nouvelle-Ecosse.
Les
autres
prisons
établies
à
la
Jamaïque,
aux
Bermudes,
au
Cap
et
à
Gibraltar,
ne
recevaient
que
par
occasion
des
prisonniers
de
guerre.
Les
dépôts
coloniaux
ne
semblent
pas
avoir
jamais
contenu
plus
de
3.000
hommes
au
maximum.
Presque
tous
les
prisonniers
étaient
d'abord
«
transportés
»
en
Angleterre,
et
c'est
ainsi
que
le
Transpor
Board
—
ou
Direction
des
transports.:
l'Amirauté
britannique
—
devint
proprement
la
Direction des prisons militaires.
Malgré
l'expérience
des
guerres
antérieures,
le
Transport
Board
fut
comme
débordé
par
l'afflux
des
prisonniers,
lors
de
la
rupture
de
la
paix
d'Amiens.
Un
autre
des
bureaux
de
l'Amirauté
—
le
Sick
and
Hurt
Board,
ou
Direction
de
la
santé
navale
—
était,
d'ailleurs,
chargé
du
soin
des
soldats,
marins
et
prisonniers
«
malades
ou
blessés
».
Il
en
résulta
des
conflits
de
compétence
dont
l'Amirauté,
ne
put
venir
à
bout
qu'en
annexant
la
Direction
de
la
santé
à
la
Direction
des
transports.
Mais,
pendant
les
premières
années
de
la
guerre,
les
transports
de
prisonniers
furent
opérés
dans
les
conditions
les
plus
défectueuses.
Un
chirurgien
de
la
marine
anglaise,
W.-B.
Smith,
nous
en
a
laissé
une
description
véritablement
effrayante
dans
un
rapport
qu'il
adressait,
le
22
septembre
1804,
à
la
Direction
de
la
santé
après
avoir
visité,
à
son
arrivée
de
la
Jamaïque,
le
vaisseau La
Sirène
:
«
Représentez-vous,
écrit-il,
un
vaisseau
de
trois
cents
tonneaux
et
dont
l'entrepont,
qui
n'atteint
pas
cinq
pieds
de
haut,
a
été
aménagé
comme
pour
le
transport,
des
troupes,
mais
n'a
jamais
été
nettoyé
pendant
une
traversée
de
neuf
semaines.
Là
ont
été
parqués
302
prisonniers,
la
plupart
relevant
de
maladie
et
atteints
de
dysenterie
chronique,
quelques-uns
souffrant
de
mauvais
ulcères
ou
de
vieilles
blessures,
tous
plus
ou
moins
scorbutiques.
Ils
sortent,
semble-t-il,
des
milieux
les
plus
misérables
de
ceux
où
la
France
a
occasion
de
recruter
ses
soldats.
Chacun
méprise
son
voisin.
Ils
ont
tous
la
conduite
déréglée
et
turbulente
à
laquelle
il
faut
s'attendre
avec
de
semblables
gens,
placés
comme
ils
sont
sur
un
vaisseau
de
transport,
mécontents
jusqu'à
la
rébellion,
mal
logés
et
mal
nourris.
Ils
ont
pour
nourriture
une
demi-livre
de
bœuf
salé,
un
quart
de
pinte
de
pois
secs
et
une
livre
et
demie
de
biscuit.
Ils
négligent
tout,
même
la
propreté
de
leur
corps.
ils
utilisent
toutes
les
parties
du
pont
.pour
satisfaire
leurs
besoins
naturels,
et
ils
refusent
de
nettoyer
les
endroits
qui
sont
destinés
à
cet
effet.
Ils
insultent
les
Anglais,
ils
les
menacent
et
les
provoquent;
et
ils
respectent
moins
encore
les
rares
officiers
de
leur
propre
nation
qui
sont
avec
eux,
chaque
fois
que
dans
leur
propre
intérêt
on
essaie
de
les
soumettre
à
une
discipline
quelconque.
«
Ils
n'est
pas
étonnant
que
la
maladie
ait
fait
de
grands
ravages
dans
un
tel
milieu.
Le
scorbut
est
devenu
rapidement
formidable
;
la
dysenterie
a
augmenté
;
un
tiers
des
prisonniers
a
été
emporté
;
et
ce
sont
généralement
les
moins
forts
et
les
moins
énergiques
qui
ont
succombé
et,
qui
succomberont
encore,
tant,
qu'on
n'aura
pas
remédié
au
mal
par
des
moyens
dont
on ne pouvait disposer à bord de la
Sirène
.
«
Il
semble
que
cette
mortalité
a
été
grandement
augmentée
par
les
mauvais
traitements
des
prisonniers
valides
à
l'égard
des
malades.
Dès
qu'un
malheureux
n'était
plus
en
état
de
se
défendre
lui-même,
on
lui
volait
sa
ration,
on
le
dépouillait
de
ses
vêtements
et
on
le
laissait
mourir
presque
nu
ou
couvert
de
ses
propres
ordures,
roulé
dans
une
couverture,
et pariais même on s'en débarrassait de suite en le portant dans un escalier de descente ou sur le pont.
«
Hier
soir,
à
ma
première
visite,
j'ai
vu
trois
pauvres
misérables
gisant
ainsi
près
de
l'écoutille
d'avant.
A
côté
était
un
grand
baquet
au
bord,
duquel
les
prisonniers
valides
venaient
faire
leurs
besoins,
sans
souci
de
la
saleté
;
et
la
puanteur,
jointe
aux
exhalaisons
voisines,
était
absolument
insoutenable.
Pour
faire
nettoyer
la
place,
j’ai
dû
désigner
huit
hommes
auxquels
j'ai
promis
qu'ils
recevraient,
en
qualité
d'infirmiers,
la
ration
entière
de
l'ordinaire
d'hôpital
avec
une
solde
de
six
sous
par
jour, et j'espère que vous voudrez bien me donner le Moyen d'accomplir ma promesse.
«
Mais
je
suis
obligé
de
clore
cette
description
pour
retourner
auprès
de
ces
pauvres
misérables,
et
voir
ce
qui
pourra
être
fait.
Un
est
mort
cette
nuit,
un
autre
à
l'instant,
et,
si
j'ose
exprimer
mon
opinion,
je
crois
que
la
continuation
de
la
quarantaine
n'aura
d'autre
résultat
que
d'augmenter
le
mal.
Pour
le
diminuer,
il
faudrait
que
les
malades
soient
transportés
à
l'hôpital.
On
ne
peut
pas
y
faire
d'objection.
Nous
sommes
en
présence
du
scorbut
en
voie
d'augmentation
parmi
les
convalescents,
et
de
cas
de
dysenterie
qui,
naturellement,
augmentent
aussi.
Sans
le
transport
à
l'hôpital,
tous
les
secours
qu'on pourra fournir seront inutiles, surtout avec l'insubordination de pareils mutins.
«
Il
faut
remarquer
que
ce
vaisseau
était
classé
comme
hôpital,
qu'il
a
reçu,
en
cours
de
route
des
malades
provenant
d'autres
vaisseaux
;
mais
là
preuve
qu'il
n'y
a
pas
à
bord
d'autres
maladies
que
celles
que
j'ai
signalées,
c'est
que
l'équipage
tout
entier
est
en
bonne
santé,
et
qu'il
n'a
jamais,
été
atteint
de
la
moindre
indisposition
;
je
suis
persuadé
que
vous
voudrez
bien prendre en considération l'importance de ce fait. »
La
pitié
de
Smith
pour
les
«
pauvres
misérables
»
prisonniers
paraît
tout
ensemble
étrange
et
naturelle.
Quand
les
négriers
de
Bristol
transportaient
d'Afrique
aux
Indes
occidentales
leur
marchandise
noire,
leurs
bateaux
étaient,
certes,
mieux
tenus
que
La
Sirène
à
son
arrivée
en
Angleterre,
et
les
esclaves
qu'ils
allaient
vendre
n'étaient
guère
plus
à
plaindre
que
les
prisonniers
français
qu'on
ramenait
de
la
Jamaïque
pour
les
mettre
en
ponton.
Mais
on
petit
être
surpris
que
Smith
ait
éprouvé
quelque
sentiment
de
ce
genre.
Déjà,
peu
auparavant,
il
avait
pu
voir
comment
certains
Anglais
prenaient
à
cœur
leur
devoir
d'humanité.
En
juin
1804,
il
avait
constaté
que
la
viande
livrée
à
un
bateau-prison
hôpital
était
avariée,
et
il
avait
ordonné
de
la
remplacer
immédiatement
aux
frais
du
fournisseur.
Le
lieutenant
qui
commandait
le
bateau
refusa
de
mettre
à
la
disposition
de
Smith
le
canot
du
bord,
comme
s'il
avait
eu
des
intérêts
communs
avec
le
fournisseur,
et
l'on
ne
put
aller
à
la
côte
acheter
de
la
viande
saine.
L'affaire
fut
portée
devant
l'amiral,
et
nous
ne
savons
quelle
en
fut
l'issue.
Mais
pour
les
prisonniers de
La Sirène,
Smith insista et il compléta, dès le lendemain, 23 septembre 1804, son premier rapport :
«
Mes
efforts
pour
discipliner
les
prisonniers
rebelles
et
mettre
de
l'ordre
parmi
eux,
comme
je
le
désirais,
m'ont
valu
les
mêmes
injures,
insultes
et
menaces
qu'ils
avaient
accoutumé
de
proférer
contre
les
officiers
et
l'équipage
anglais,
au
cours
de
la
traversée.
J'ai
réuni
tous
ceux
qu'on
m'avait
dit
être
capables
de
monter
sur
le
pont,
et
j'ai
tâché
de
leur
faire
aérer
leur
literie
et
apporter
leurs
affaires
pour
les
laver
et
les
fumiger.
Quelques-uns
obéirent
;
les
autres,
revêches,
sont
redescendus.
Puis,
quand
j'ai
voulu
examiner
les
malades
(dans
l'entrepont),
les
prisonniers
qu'on
avait
fait
remonter
par
une
écoutille,
redescendirent
par
l'autre
et
s'attroupèrent
autour
de
moi,
criant
et
vociférant,
m'accablant
de
questions
insolentes
ou
de
plaintes
vaines,
de
sorte
que
je
m'ai
absolument
pas
pu
donner
mes
soins
aux
pauvres
misérables
qui
en
avaient
besoin.
Beaucoup
ne
savent
même
pas
le
nom
qui
les
désigne
(sur
les
listes
du
bord),
à,
cause
des
substitutions
fréquentes
qui
ont
eu
lieu
(à
leurs
dépens).
J'avais
passé
une
grande
partie
de
ma
nuit
à
combiner
:
la
distribution
de
l'ordinaire
d'hôpital
aux
malades
d'après
les
listes
du
bord,
mais
inutilement
:
hier,
ces
mécréants
ont
enlevé,
par
vol,
tout
ou
partie
de
leur
ration
à
vingt-cinq malades, et aujourd'hui ils continuent, par frau
de, à les en frustrer.
«
J'ai
néanmoins
réussi
à
panser
les
ulcères,
à
distribuer
des
médicaments
;
les
malades
ont
été
isolés
des
valides,
grâce
à
un
paravent
;
et
les
valides
ne
peuvent
pas
empiéter
sur
l'espace
réservé
aux
malades
;
l'entre¬pont
a
été
raclé
et
balayé
;
j'ai
mis
un
boulet
à
brai
(marmite
où
brûle
de
la
résine)
dans
un
bassin
de
vinaigre;
des
fumigations
ont
été
faites
à
l'acide
nitreux;
mais
je
n'ai
pu
user
de
la
ventilation
avec
l'air
atmosphérique,
parce
que,
dans
l'entrepont,
il
n'y
a
ni
sabords
ni
hublots,
et,
seules,
les
deux
écoutilles
peuvent
rester
ouvertes.
Naturellement,
nous
y
avons
placé,
des
manchons
de
ventilation
;
mais
il
y
faudrait
une
surveillance
constante,
car
les
prisonniers
se
couvrent
la
bouche,
disent
que
l'air
est
froid,
qu'ils
ne
peuvent
le
supporter;
et
ils
préfèrent
croupir
dans
l'infection
de
l'entrepont.
Un
décès
a
été
constaté
depuis
mon
dernier
rapport
;
et
probablement,
quels
que
soient
nos
soins,
la
proportion
sera
grande
des
cas
graves
qui
auront
une
issue fatale.
«
Vous
voyez,
Messieurs,
quelle
est
la
situation
de
ces
malheureux
et
combien
peu
je
suis
en
état
de
les
secourir.
Ma
description
est
encore
inférieure
à
la
réalité
et
ne
rend
pas
compte
de
toutes
les
difficultés
que
j'ai
à
surmonter.
Presque
tous
les
seaux
et
ustensiles
qui
étaient
sur
le
vaisseau
au
départ
ont
été
détruits
ou
jetés
par-dessus
bord.
Le
Capitaine
semble
avoir
agi
de
son
mieux,
étant
données
les
conditions,
et
le
fait
qu'il
a
su
maintenir
son
équipage
en
bonne
santé
parle
en
sa
faveur.
«
J'espère
que
vous
ne
désapprouverez
pas
de
me
faire
transporter
d'urgence
sur
Le
Pégase
(un
vaisseau-prison¬.
hôpital),
avec
les
malades
;
ce
sera
ensuite
à
l'autorité
militaire
de
prendre
les
dispositions
nécessaires
en
ce
qui
concerne
le
restant
des
prisonniers
:
Le
médecin
français
ne
m'a
pas
fourni
l'aide
que
j'espérais,
et
ses
demandes
d'instruments
et
de
médicaments,
d'objets
de
nécessité,
et
de
luxe
m'ont
paru
excessives
ou
de
nature
à
provoquer
des
excès
:
je
dois
sauver
du
naufrage
tout
ce
que
je
peux.
Je
me
propose
de
mettre
aujourd'hui
les
prisonniers
valides
au
régime
des
légumes
à
cause
du
scorbut. ».
A
son
deuxième
rapport,
Smith
avait
joint
un
«
Etat
des
prisonniers
transportés
sur
La
Sirène
»,
dont
le
laconisme
est
plus
éloquent qu'un long commentaire :
MALADES
Très malades :
scorbut et dysenterie
22
« : ulcères
7
Scorbutiques, avec ou sans dysenterie et qui peuvent, bien soignés, être rapidement: guéris
36
Femmes allaitant, leurs enfants. Par humanité., le régime d'hôpital leur a été accordé. On espère que cette mesure
ne sera pas désapprouvée
Total des prisonniers malades
369
VALIDES
Un médecin et dix infirmiers auxquels le régime d'hôpital a été accordé
41
Prisonniers nourris par la Direction des transports, mais auxquels la Direction. de santé fournit des légumes 110
Total des prisonniers valides
121
DÉCÈS
Du 11 juillet au 23 septembre 1804
412
Total des prisonniers embarqués à la Jamaïque
302
RÉCAPITULATION
Reçus à bord à la Jamaïque
302
Malades embarqués en cours de route
4
Enfants nés à bord
4
Total général
307
Smith
obtint
gain
de
cause
:
la
quarantaine
fut
levée
et
les
malades
hospitalisés.
Il
est,
d'ailleurs,
à
noter
que
La
Sirène
était,
comme
on
disait
alors,
un
«
cartel
»,
c'est-à-dire
qu'elle
avait
été
neutralisée
pour
la
traversée
;
tous
ses
passagers
n'étaient
pas
destinés
aux
pontons.
C'est
pourquoi
l'Amirauté
britannique
ordonna
le
25
septembre
1804
de
notifier
son
arrivée
au
gouvernement
français,
en
y
joignant
«
communication
de
tels
extraits
des
rapports
(de
Smith)
qui
paraîtront
convenables ». il est permis de supposer que ces extraits n'ont pas dû être très longs.
Lorsque
ensuite
l'administration
des
prisonniers
de
guerre
fut
centralisée
à
la
Direction
des
transports,
elle
devint
plus
régulière
et
plus
expérimentée.
Elle
n'eut
plus
que
par
exception
à
enregistrer
des
cas
aussi
navrants
que
celui
de
La
Sirène
.
Foncièrement,
elle
resta
toujours
sévère
et
dure,
mais,
somme
toute,
elle
ne
fut
pas
inférieure
à
l'énorme
tâche
qui
lui
incombait
;
et,
quel
que
soit
le
jugement
qu'on
en
porte,
ce
n'est
pas
dans
la
sinistre
légende
des
pontons
anglais
qu'il
faut
chercher l'histoire vraie du régime qu'elle imposa aux prisonniers « sur parole » ou « en confinement ».
G. Pariset
Profosseur à le faculté des lettres de Nancy.