Bordeaux Aquitaine Marine
Les flottes morutières françaises
extrait de l’ouvrage «la pêche morutière française de 1500 à1950» par Jacqueline HERSART DE LA VILLEMARQUÉ (Ifremer, 1998)
Au
cours
des
siècles,
de
très
nombreux
ports
français
ont
armé
à
la
morue.
Au
XVIe
siècle,
au
moment
où
se
produit
une
poussée
formidable
vers
les
Terre-
Neuves,
presque
tous
les
ports
de
la
Manche
et
de
l'Atlantique
ontparticipé
à
cette
pêche.
Le
premier
acte
de
l'armement
était
de
construire
ou
de
faire
construire
un
navire
et
on
a
dit
que,
entre
le
XVIe
et
le
XVIIIe
siècle,
il
y
avait
autant
de
genres
de
navires
que
de
port
d'armement.
Malgré
cela,
de
grandes
familles de morutiers se sont précisées au cours du temps.
La
pêche
de
la
morue
sèche
et
celle
de
la
morue
verte
nécessitaient
deux
sortes
d'armement.
Pour
l'une,
des
bateaux
lourds
avec
de
nombreux
marins,
pour
l'autre
des
bateaux
maniables
et
rapides
avec
un
nombre
réduit
de
marins
car
ils
devaient
chacun
avoir
leur
place
le
long
des
bords
du
bateau
pour
effectuer
la
pêche
errante
sur
les
bancs.
La
pêche
reprenait
donc
à
son
compte
les
navires
de
l'époque
qui
étaient
à
la
fois
un
héritage
du
Moyen-Age
et
des
nouveautés
introduites à l'occasion des découvertes.
•Au XVIe siècle
Toutes
sortes
de
navires
étaient
construits
pour
la
pêche
en
général.
On
en
distingue
deux
conceptions.
La
conception
nordique
ou
hollandaise
donne
des
bateaux lourds à flancs larges, de forme ronde. Les navires de conception biscaïenne ou portugaise sont à coque fine, rapides et manoeuvrant bien.
•
Les
navires
lourds,
de
conception
nordique,
sont
puissants,
de
grande
capacité
mais
aussi
de
vitesse
réduite
(La
Morandière,
1962)
Ce
sont
les
lieux,
les
hourques ou hougres, les dogres, les roberges.
•
Les
heux
ont le fond plat et portent un mât avec voile.
•
Les
hourques
sont
des
navires
de
charge,
grossiers,
gréés
en
trois-mâts,
de
forme
très
pleine
afin
de
charger
au
maximum.
Ces
bateaux
sont
peu
conçus
pour la vitesse.
•
Les
dogres
sont des navires à deux mâts qui jaugent jusqu'à 150 tonneaux, ils sont surtout utilisés sur le Dogger Bank, d'où leur nom.
•
Les
roberges
ont aussi deux mâts.
Tous
sont
de
grande
capacité,
de
100
à
200
tonneaux,
utilisés
pour
la
pêche
sédentaire
à
Terre-Neuve
et
nécessitent
de
50
à
60
marins.
Dans
la
seconde
moitié
du
XVIe
siècle,
les
tonnages
augmentent,
les
navires
atteignent
250
à
300
tonneaux et ont besoin de 55 à 70
hommes.
•
Les
navires
de
conception
biscaïenne
ou
portugaise
ont
des
tonnages peu importants, de 30 à 60 tonneaux.
Ce
sont
des
bateaux
rapides
tels
que
les
pinasses
et
les
caravelles,
qui
nécessitent
de
10
à
12
hommes
et
sont
utilisées pour la pêche errante la fin du siècle.
•
Les
pinasses
sont
des
embarcations
à
fond
plat,
en
pin,
très
estimées
aux
XVIe
et
XVIIe
siècles,
utilisées
pour
la
pêche
sur
le
littoral
aussi
bien
qu'à
Terre-
Neuve.
•
Les
caravelles
possèdent
deux
ou
trois
mâts
et
des
voiles
carrées
:
trois
fois
plus
longues
que
larges,
elles
sont
adaptées
à
la
haute
mer.
Ce
sont
ces
"caravelles
rondes"
de
100
tonneaux,
de
la
deuxième
génération
à
voiles
triangulaires,
qui
seront
utilisées
par
les
Portugais et les Espagnols pour les découvertes.
Au
XVIe
siècle,
presque
tous
les
ports
de
la
Manche
et
de
l'Atlantique
ont
armé
pour
les
"Terres-Neuves",
dès
que
l'on
apprît
que
la
morue
y
abondait
(La
Morandière,
1962).
L'essentiel
des
données
porte
sur
le
nombre
des
morutiers
partis
en
pêche
et
leur
tonnage.
On
a
dénombré
314
départs
pour
Terre-Neuve
de
1500
à
1549,
totalisant
au
moins
3
060
tonneaux
;
de
nombreux
tonnages
manquent.
Ces
navires
partaient
à
la
pêche
de
"la
morue"
au
sens
large,
sans
qu'il
soit
précisé
morue
sèche
ou
morue
verte.
Dans
la
seconde
moitié
du
siècle,
l'augmentation
des
départs
est
sensible
;
838
pour
14
675
tonneaux,
mais
là
aussi
des
données
manquent.
Le
siècle
totalise
donc
1
153
départs
de
morutiers,
des
bateaux
de
conception
nordique
pour
la
pêche
sédentaire
qui
jaugent
entre
100
et
140 tonneaux, d'autres de conception portugaise, pour la pêche aux bancs entre 40 et 70 tonneaux.
Au XVIIe siècle
Les
documents
concernant
les
navires
utilisés
pour
la
pêche
de
la
morue
sont
plus
nombreux
et
plus
précis
qu'au
XVIe
siècle.
Ce
sont
deux
catégories
de
bateaux
: navires lourds et navires légers.
•
Les
bâtiments
lourds,
à
arrière
rond,
à
la
manière
hollandaise
ou
anglaise
sont
toujours
représentés
par
les
heux
et
les
hourques
mais
aussi
par
les
flûtes,
les
flibots, les galiotes, bateaux dont le tonnage moyen est compris entre 100 et 300 tonneaux et qui font la pêche sédentaire.
•
Les
flûtes
sont
de
gros
navires
hollandais,
de
charge,
à
trois
mâts,
à
fond
plat
et
de
formes
très
renflées.
La
coque
est
beaucoup
plus
large
à
la
flottaison
qu'à la hauteur du pont.
•
Le
flibot
ressemble beaucoup à la flûte, c'est aussi un bateau de type hollandais, plat et renflé, mais à deux mâts et ne dépassant pas 100 tonneaux.
•
La
galiote
est
également
un
bâtiment
de
charge
à
fond
plat,
à
deux
mâts,
jaugeant
50
à
300
tonneaux,
avec
l'avant
et
l'arrière
rond.
Ces
divers
navires,
très utilisés dans les ports du nord de la France étaient susceptibles de recevoir de fortes charges (La Morandière, 1962).
• Les bâtiments plus légers sont du type pinasse, frégate, brigantin et ont un tonnage moyen de 70 à 100 tonneaux.
•
La
pinasse
du XVIIe siècle a la poupe carrée et peut jauger de 150 à 350 tonneaux.
•
La
frégate
est
un
bâtiment
à
trois
mâts,
de
200
à
300
tonneaux,
utilisé
pour
la
guerre.
Les
navires
de
pêches
étaient
construits
"en
façon
de
frégate",
avec
des formes élancées permettant une bonne vitesse.
•
Le
brigantin
est un navire à deux mâts, rapide et de faible tonnage.
D'une
façon
très
générale,
on
estime
que
les
navires
à
deux
mâts,
plus
petits,
avec
un
équipage
restreint
et
jaugeant
en
moyenne
90
tonneaux,
étaient
surtout
armés
à
la
morue
verte
;
ceux
à
trois
mâts,
de
tonnage
plus
important,
sont
armés
à
la
morue
sèche
(La
Morandière,
1962).
Delumeau
(1961)
estime
que
les
terre-neuviers
malouins
étaient
à
la
fin
du
siècle,
des
bateaux
de
50,
60,
80,120,160
et
230
tonneaux.
Le
XVIIe
siècle
est
marqué
par
une
très
forte
augmentation
des
départs
de
terre-neuviers,
de
1
153
au
XVIe
siècle
on
atteint
4
344
départs
de
bateaux
au
XVIIe
siècle,
soit
une
augmentation
de
376
%.
Au
cours
de
la
première
moitié
du
siècle
1
329
navires
quittent
les
côtes
de
France,
au
cours
de
la
seconde,
on
en
compte
3
021,
soit
plus
du
double.
Les
données
récoltées
concernant
les
tonnages
sont
partielles
on
ne
totalise
que
11
114
tonneaux
pour
la
première
moitié
du
siècle
et
185
215
tonneaux
pour
la seconde.
• Au XVIIIe siècle
C'est
le
navire
à
trois
mâts
qui
est
le
plus
souvent
utilisé
pour
l'armement
morutier,
surtout
dans
la
première
moitié
du
siècle,
où
on
assiste
à
une
augmentation
des
tonnages.
Dans
la
seconde
moitié
du
siècle apparaissent des bateaux nouveaux : senaux et goélettes (Carrière, 1964).
•
Les
senaux
sont des bâtiments à deux mâts, qui jaugent de 100 à 170 tonneaux.
•
Les
goélettes
sont
des
voiliers
à
deux
mâts,
d'inspiration
américaine,
à
voiles
auriques,
c'est-à-dire
placées
dans
l'axe
du
navire
et
qui
peuvent
être
de
différentes
formes.
Les
goélettes
du
XVIIIe
siècle,
ou
goélettes
franches,
jaugent
de
30
à
80
tonneaux
et
nécessitent
de
10
à
11
marins,
ce
sont les morutiers de la fin du siècle.
A
partir
de
1760,
le
nombre
des
navires
à
deux
mâts,
brigantins
et
goélettes,
augmente
donc,
mais
le
faible
tonnage
des
goélettes
induit
une
diminution
des
quantités
pêchées
par
bateau.
Ainsi,
vers
1730-
1735,
la
cargaison
moyenne
des
"vaisseaux"
morutiers
à
trois
mâts
arrivant
à
Marseille
est
en
moyenne
de 3 500 quintaux, alors que celle des navires légers de la fin du siècle est en moyenne de 2 360 quintaux.
Le
siècle
totalise
11
648
départs
de
morutiers
en
pêche
soit
respectivement
3
083
pour
la
première
et
8
565
départs
pour
la
seconde
moitié
du
siècle,
soit
une
augmentation
très
importante
de
la
pêche,
bien
qu'elle ait été totalement arrêtée les sept dernières années du siècle.
• Au XIX'siècle
La
goélette
est
alors
le
bateau
morutier
par
excellence,
il
est
le
mieux
adapté
au
"métier
de
pêche"
avec
son
pont
très
dégagé
qui
permet
d'y
loger
les
barils
et
de
laisser
de
la
place
aux
hommes
pour
pêcher
(du
Rin,
1938).
Des
améliorations
ont
lieu
par
rapport
à
la
première
génération
de
"goélette
franche
à
deux
mâts".
Ainsi,
dans
la
seconde
moitié
du
siècle
on
construit
des
goélettes
à
trois
mâts
baptisées
"à
trois
mâts
latins".
Par
la
suite,
on
ajoute
d'autres
mâts,
jusqu'à
sept.
On
voit
apparaître
aussi
la
"goélette
à
hunier",
gréée
d'une
voile
carrée
au
mât
de
misaine,
et
le
"brick-goélette"
à
3,4
ou
5
mâts
(Bronkhorst,
1927).
A
Dunkerque,
on
utilise
la
"goélette
islandaise",
jaugeant
de
120
à
150
tonneaux,
qui
possède
trois
mâts
et
nécessite
de
17
à
19
hommes
à
bord
(du
Rin,
1938).
En
Bretagne,
les
goélettes
paimpolaises
ont
un
tonnage
légèrement
supérieur
et
ont
besoin
de
22
à
25
hommes.
Pour
la
pêche
à
Saint-Pierre-et-Miquelon,
les
armements
envoient
en
mars
des
goélettes
de
50
tonneaux,
avec
huit
hommes
d'équipage,
de
France
au
Grand-Banc,
qui
pèchent,
traitent
le
poisson
puis
le
débarquent
à
Saint-Pierre
pour
le
faire
sécher
sur
les
graves.
Après
trois
aller-retour
du
banc
à
Saint-Pierre,
ils
effectuent
le
quatrième
mais
gardent
la
morue
verte
dans
les
cales
et
retournent
en
France
avec.
Plus
tard
dans
la
saison,
de
gros
brigantins
de
100
à
200
tonneaux,
avec
au
minimum
16
hommes
à
bord,
arrivent
à
la
colonie,
déchargent
les
marchandises
importées
qu'ils
"troquent"
contre
la
morue
laissée
à
sécher
sur
les
graves
par
les
goélettes,
vont
pêcher
à
la
morue
sèche
et
repartent
en
France
avec
toute
la
cargaison
(Ribault,
1962).
Au
XIXe
siècle,
on
recense
30
334
morutiers
qui
partent
en
pêche,
dont
10
169
au
cours
de
la
première
moitié
du
siècle
(données
inexistantes
de
1804
à
1813)
et
20
165
de
1850
à
1900,
ce
qui
témoigne de l'importance économique de la morue à cette époque.
• Au XXe siècle
On
retrouve
toujours
les
goélettes
à
trois
ou
à
quatre
mâts
et
les
goélettes
à
hunier.
Les
goélettes
à
hunier
de
Saint-Malo
ont
maintenant
une
jauge
moyenne
de
180
tonneaux
et
le
tonnage
moyen
des
trois
et
quatre
mâts
varie
de
300
à
400
tonneaux,
la
plupart
des
bateaux
étant
construits
dans
la
région,
certains
étant
munis de moteurs accessoires à essence ou à pétrole (Bronkhorst, 1927).
A
partir
de
1903
apparaissent
les
premiers
chalutiers
à
vapeur
qui
vont
pêcher
en
Islande,
puis
l'annéesuivante,
les
premiers
partant
pour
Terre-Neuve.
A
cette
époque
le
tonnage
moyen
des
chalutiers
de
Grande
Pêche
oscille
entre
70
et
100
tonneaux.
Pour
la
sécurité,
la
traversée
et
le
rendement,
des
navires
de
150
à
200
tonneaux
étant
préférables,
après
1919
on
envoie
des
bâtiments
plus
importants.
Les
chalutiers
construits
après
1918,
ont
une
jauge
brute
moyenne
de
400
tonneaux et des machines-vapeur d'une puissance de 700 à 800 CV, leur permettant des vitesses de 10 à 12 noeuds (Bronkhorst, 1927).
On
considère
alors
que
le
rendement
moyen
d'un
chalutier
est
équivalent
au
double
de
celui
d'un
voilier.
Petit
à
petit,
les
chalutiers
à
vapeur
remplacent
les
voiliers.
Au
début
du
siècle,
la
pêche
en
Islande
est
effectuée
par
164
voiliers
en
1902,
puis
par
158
voiliers
et
4
chalutiers
en
1903,
par
145
voiliers
et
12
chalutiers en 1904, et ainsi de suite. En 1920, il n'y a plus que 17 voiliers mais 15 chalutiers pour la pêche islandaise.
Dans
la
zone
de
Terre-Neuve
la
pêche
connaît
la
même
évolution,
les
voiliers
sont
peu
à
peu
remplacés
par
les
chalutiers.
Il
faut
noter
également
la
forte
diminution
de
la
pêche
sédentaire.
De
100
bateaux
vers
1800,
l'effectif
tombe
à
7
ou
8
en
1904.
Ceci
est
dû
à
l'importance
prise
par
la
pêche
hauturière
fraîche
depuis le début du siècle, grâce aux inno
vations techniques.