Bordeaux Aquitaine Marine

Le Hollandais Volant

Alain Clouet - extrait de la revue "Marine" n° 204, juillet 2004.

Le Hollandais Volant [1] est au marin français, ce qu'est le dahut à nos amis bretons. On en parle beaucoup, mais rarissimes sont ceux qui l'ont

vu. Ce n'est cependant pas une simple légende, car elle a survécu à des siècles d'histoire. Le vaisseau-fantôme a commencé sa longue vie dans la

mythologie grecque avant (ou même après ?) d'investir la mythologie scandinave.

Le premier navire fantôme connu est la constellation Argo qui est la nef dans laquelle Jason et ses compagnons sont allés à la recherche de la

Toison d'or. Elle a été ensuite placée dans le ciel par Athéna ou Poséidon afin de servir de guide aux navigateurs des mers du Sud. La mythologie

scandinave a inventé le Skidbladner, sorte de vaisseau gigantesque construit par des nains, où toutes les ases (divinités de la guerre) peuvent se

loger. Démonté et plié par son propriétaire le dieu Odin, ce dernier pouvait le glisser facilement dans sa poche. Les prophéties irlandaises du

Moyen-Âge parlent du Roth Ramhach qui va également sur terre et sur mer et qui serait le navire de la fin du monde.

La légende du Hollandais Volant proprement dite se créera au XVII ème siècle. Plusieurs récits vont s'additionner pour créer la légende. Voici les

plus connus.

En 1497, un marin des équipages de Vasco de Gamma terrorisé par le franchissement du cap des Tempêtes, avait remis son âme au Diable. Sauvé

par ce dernier il fut condamné à errer éternellement sur un vaisseau fantôme. Cependant, le Diable l'autorise à relâcher dans un port au bout de

sept ans, avec la promesse que s'il rencontre une femme fidèle, son péché lui sera remis.

Plus de trois siècles plus tard, en 1830, le poète allemand Heinrich Heine en tire un poème où le marin errant y est délivré de sa malédiction par

l'amour d'une femme qui accepte de mourir pour lui permettre de trouver le repos. Et son navire aux voiles rouges sera enfin englouti par les

flots. Ce poème servira de base au Vaisseau fantôme, le célèbre opéra composé par Richard Wagner en 1843.

En Hollande à la même époque, le capitaine Van der Staten pêcha en appareillant un

vendredi saint. Il va disparaître en mer, et être condamné à courir à jamais les océans.

En 1570, l'amiral de Hambourg, Simon d'Utrecht finit par venir à bout du pirate

Sortebekker le Voltigeur. Ce dernier comme tous les autres, fut condamné à l'errance

éternelle.

Un autre récit met en scène le capitaine Barent Fokke. Très connu à Amsterdam dans les

années 1650 pour ses orgies et ses colères, il l'était encore plus pour la célérité avec

laquelle il accomplissait le parcours d'Amsterdam à Batavia en moins de trois mois, d'où

son surnom de Marin Volant ou Hollandais Volant. Les marins de l'époque étaient

persuadés qu'il avait conclu un pacte avec le Diable. Aussi, quand il disparut en mer, les

marins pensèrent qu'il avait été condamné, lui aussi, à errer éternellement sur les océans

en punition de son pacte.

Quant à Falkenberg, c'était un capitaine si cruel que ses hommes étaient surnommés les voltigeurs de la mort. Son bateau fut détruit, ce qui ne

l'empêcha pas de hanter les océans pendant des années, enveloppé dans un halo phosphorescent.

En 1660, le capitaine Van Der Decken, a fort à faire avec son équipage. Son navire qui rallie l'Angleterre à l'Australie, est très en retard sur son

plan de marche. faute de vent. La conséquence en est le manque de vivres et l'apparition du scorbut. L'équipage réclame en vain une escale au

passage du Cap des Tempêtes. Le capitaine déjà excédé par les récriminations de l'équipage et par le manque de vent, refuse de s'arrêter et

pique une colère épouvantable. Il défie Dieu de le faire sombrer et tire un coup de pistolet vers le ciel. Sur ces entrefaites, une terrible tempête

éclate. Non content de faire sombrer le navire, Dieu condamna également Van der Decken et tout son équipage à errer éternellement sur les

eaux et particulièrement aux alentours du Cap de Bonne- Espérance sans jamais pouvoir trouver la paix.

La légende du Hollandais Volant est née de ces récits et le navire fantôme va réapparaître à intervalles irréguliers au cours des siècles suivants.

Voici quelques témoignages parmi les plus connus. L'un des témoins les plus prestigieux de l'existence du "Hollandais Volant", fut le jeune duc

d'York, futur George V d'Angleterre. Embarqué sur le navire de Sa Majesté "la Bacchante" comme enseigne à l'âge de seize ans, il accomplit là

son premier tour du monde.

Nous sommes le 11 juillet 1881, par une belle nuit claire, quand une lueur apparaît brusquement à

environ 200 yards, et le jeune duc écrit sur le journal de bord:" A quatre heures du matin, un brick

passa sur notre avant, à environ trois cents mètres, le cap vers nous. Une étrange lumière rouge

éclairait le mât, le pont et les voiles. L'homme de bossoir le signala sur l'avant, ainsi que le

lieutenant de quart. Un élève officier fut envoyé dans la vigie, Mais il ne vit cette fois aucune trace,

aucune signe d'un navire réel. Treize personnes ont été témoins de l'apparition. La nuit était claire

et la mer calme. Le Tourmaline et le Cléopâtre qui naviguaient par tribord avant nous demandèrent

par signaux si nous avions vu l'étrange lumière rouge."

La nuit même, dit-on, l'un des marins ayant vu le Hollandais Volant, tombe d'un des mâts et se tue.

Quelques semaines plus tard, l'amiral de la flotte décèdera, confirmation qu'il s'agissait bien du

Hollandais Volant. En 1887, le navire américain Orion, fait route de San Francisco vers la Chine,

lorsque les hommes de quart remarquent un ancien trois-mâts éclairé par un halo blanc. Le vent

est très violent, et pourtant, il porte toute sa toile. Le trois-mâts semble se rapprocher, puis

disparaît soudainement au moment où la lune est voilée par des nuages.

En 1939, ce sont une centaine de personnes se trouvant sur une plage d'Afrique du Sud, au Sud-est

du Cap, qui voient apparaître un trois-mâts en mer. Il n'y a pas le moindre souffle d'air et pourtant

le navire, qui porte toutes ses voiles, avance à vive allure. Il s'évanouira mystérieusement en un instant. Nouvelle apparition du trois-mâts en

1942, à Mouille Point, aux abords du Cap, dont la silhouette survoilée s'approche de la baie de la Table. Que dire de ces quelques témoignages

(il y en des dizaines aussi sérieux). Comme pour tout phénomène paranormal, il est difficile de trancher définitivement. Force est, cependant, de

constater que depuis l'arrivée de l'époque "moderne", les apparitions ont quasiment disparues. Comment, alors une telle légende a-t-elle pu

durer aussi longtemps ?

D'après la sociologue canadienne Catherine Jolicoeur : "Elle répond à un besoin psychologique de l'homme, celui de savoir, de connaître le sens,

l'origine, la cause des phénomènes qui l'entourent. Et, comme la justice immanente semble l'explication du vaisseau-fantôme la plus répandue

dans la tradition populaire, il va de soi que les versions de la légende parlent surtout de personnes qui, par leur conduite répréhensible, s'attirent

des châtiments".

Alain Clouet

Notes : [1] Le Hollandais Volant est aussi connu sous les noms de "Voltigeur Hollandais" et "Grand Chasse-Foudre" dans les récits de Augustin Jal

(in Scènes de la vie maritime, 1832).

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