Bordeaux Aquitaine Marine
La navigation au long cours yéménite dans les années 1970 - par Alain Clouet
Cet article a été édité par le revue POUNT en 1973.
Cette étude a fait l'objet d'une communication au congrès de l'Association d'Histoire Internationale de l'Océan Indien qui s'est tenu à St Denis
de la Réunion en septembre 1972.
Dans
les
années
1970,
nous
voyons
encore
évoluer
dans
le
Nord
de
l'Océan
Indien
les
derniers
survivants
de
l'âge
d'or
de
la
navigation
arabe.
Les
arabes,
dont
on
a
tant
vanté
la
navigation,
sont
en
fait
de
piètres
marins,
dans
le
sens
où
les
occidentaux
comprennent
la
navigation,
mais
ils
ont
su
profiter
des
circonstances
météorologiques
particulièrement
favorables
de
l'Océan
Indien.
Avec
leurs
boutres,
ils
ont
pu
étendre
leur
influence
jusqu'à
Madagascar,
où
l'on
retrouve
dans
la
région
de
Majunga
de
nombreux
boutres
largement
inspirés
des techniques arabes.
Actuellement,
la
navigation
arabe
est
en
pleine
dégénérescence
pour
n'avoir
pas
su
s'adapter
aux
techniques
modernes.
Le
mythe
du
navigateur
arabe
disparaît.
Parallèlement
au
cabotage
qui
quadrille
tout
le
golfe
d'Aden
et
qui
constitue
la
majorité
du
trafic
du
golfe,
subsiste
de
nos
jours
un
trafic
de
longs
courriers,
survivance
des
anciens
temps.
Les
booms
et
les
baghlas,
qui
sont
les
navires
assurant
actuellement
ces
lignes,
sont
de
plus
en
plus
concurrencés
par
les
cargos
modernes
et
nous
vivons
les
dernières
années
des
boutres longs courriers.
Comme
il
y
a
mille
ans,
deux
contraintes
essentielles
motivent
le
choix
des
voyages
:
le
fret
et
les
vents.
Certes
la
plupart
des
booms
et
des
baghlas
sont
équipés
de
moteurs,
mais
leurs
formes
mêmes
les
rendent
meilleurs
marcheurs
aux
allures
portantes,
sous
voiles.
Comme
la
seule
raison
de
leur
survivance
est
le
prix
modique
de
leur
fret,
les
nakhoudas
(capitaines)
abaissent
ces
frais
en
faisant
marcher
leurs
navires
le
moins
possible
au
moteur
et
en
utilisant
les
courants favorables.
A
l'heure
actuelle,
le
grand
port
des
longs-courriers
est
Aden
dans
le
golfe
d'Aden,
reléguant
Djibouti,
Berbera
et
Mukalla
à
un
rôle
secondaire.
Il
faut
noter
encore
que
les
booms
et
les
baghlas
effectuent,
lorsqu'ils
reviennent
de
l'Océan
Indien,
une
remontée
de
la
Mer
Rouge
et
touchent
les
ports
yéménites
de
Mokha
et
Yembo,
le
port érythréen de Massawa et le port saoudien de Djeddah.
Etant
donné
les
grosses
difficultés
de
navigation
en
Mer
Rouge,
les
boutres
voyagent
sangar
{i.e.
à
deux
pour
pouvoir
éventuellement
s'entr'aider).
Ils
mouillent
pratiquement
chaque
soir.
Les
grands
nakhoudas
connaissent
tous
les
mouillages
de
la
route.
Dans
les
mouillages
importants,
l'escale
dure
plusieurs
jours
et
l'on
va
troquer
miel,
fourrures,
étoffes,
résines
aromatiques
contre
des
dattes,
du
grain, du sucre ou des boucs.
Au
départ
d'Aden,
trois
lignes
sont
encore
actives
Aden-Bombay,
Aden-Bassorah
et
Aden-Zanzibar.
Toutes
trois
sont
soumises
à
des
impératifs
météorologiques
qui
sont
pratiquement
immuables
en
cette partie du monde, et à des impératifs économiques.
La
ligne
qui
nous
intéresse
plus
spécialement
ici
est
celle
qui
joint
Aden
à
Zanzibar.
Cette
ligne
Aden-Zanzibar
est
la
survivance
des
grands
périples
qu'entreprenaient
les
Arabes
pour
descendre
sur
les
Comores
et
Madagascar
lesquels
ont
gardé
sur
leurs
côtes
une
profonde empreinte des commerçants yéménites (1).
Le
récit
de
Bozorg
Ibn
Shnhriyar
qui,
daté
probablement
de
956,
parle
du
«
Waq-waq
»
que
Jacques
Faublée
identifie
à
Madagascar.
Les
voyages
des
Arabes
sur
les
Comores
et
Madagascar
vont
se
continuer
jusqu'au
XIX°
siècle.
Depuis
le
début
du
siècle,
les
baghlas
se
limitent
à
la
côte
tanzanienne.
On
notera
cependant
encore
en
1940
et
1943
quelques
passages
entre
Djibouti
et
Madagascar.
La
cause
de
la
disparition
de
la
ligne
jusqu'à
Madagascar
s'explique
par
des raisons économiques et culturelles.
Ce
trafic
hauturier
s'est
donc
de
nos
jours
réduit
à
Zanzibar
(Sawahi
pour
les
arabes
yéménites)
et
Mombassa.
Il
est
probable
que
ces
voyages
sont
les
derniers
si
ce
n'est
déjà
fait,
par
suite
des
nombreuses
complications
politiques.
Les
baghlas
apportent
des
denrées
et
des
émigrants,
et
emmènent
du
bois
de
mangrove,
bois
d'autant plus précieux que l'Arabie manque en permanence de bois.
Les
dates
de
ce
périple
sont
essentiellement
dictées
par
les
régimes
des
alizés
et
des
moussons.
Contrairement
aux
voyages
sur
Bassorah
ou
Bombay
qui
sont
possibles
deux
fois
par
an,
les
nakhoudas
yéménites n'effectuent qu'un voyage par an vers l'Afrique orientale.
Le
départ
se
fait
au
début
de
l'hiver
arabe,
c'est-à-dire
en
octobre
pour
profiter
de
la
mousson
N.E.
qui
débute
à
cette
période.
Les
alizés
ne
viennent
pas
jusque
dans
le
golfe
d'Aden,
aussi
les
yéménites
profitent-ils
de
la
fin
du
chimal
pour
franchir
le
golfe
d'Aden et retrouver l'alizé de N.E. à hauteur de Socotra.
Le
chimal
est
un
vent
du
Nord
(N.W.
ou
N.)
qui
souffle
depuis
la
fin
de
l'été
arabe
jusqu'aux
premiers
jours
de
l'hiver
arabe
(2).
Suivant
les
régions,
il
porte
différents
noms
:
chimal
ou
baba
chez
les
yéménites,
khamsin
chez
les
somalis,
kous
chez
les
hadrarnis.
Ce
vent
du
nord
vire
parfois
au
N.W.
et
devient
beaucoup
plus
violent,
les yéménites l'appellent alors
cluhari
.
A
partir
du
XIX`
siècle,
l'influence
occidentale
se
fait
fortement
sentir
en
Océan
Indien
et
accentue
le
processus
de
désengagement
culturel
amorcé
quelques
trois
siècles
plus
tôt
par
les
Arabes
lors
des
incursions
portugaises,
puis
françaises
et
britanniques
en
Océan
Indien.
Finalement,
seuls
Zanzibar
et
les
Comores
ont
reçu
une
empreinte profondément arabe et se sont réellement islamisés.
De
même
pour
des
raisons
économiques,
la
route
de
Madagascar
perd
très
rapidement
de
son
intérêt.
Au
XIX°
siècle,
le
seul
intérêt
de
Madagascar
résidait
encore
dans
ses
esclaves
que
les
arabes
appréciaient parce que plus dociles que les africains.
La
date
exacte
de
départ
est
fixée
immuablement
par
l'apparition
de
l'étoile
Natah
(ou
Himer,
i.e.
Véga)
le
27
octobre.
Une
fois
le
Cap
Guardafui
franchi,
la
descente
va
se
faire
en
profitant
de
la
mousson
du
N.E.
qui
souffle
avec
régularité
d'octobre
à
mars
jusqu'au
10
éme
parallèle
sud,
ce
qui
permet
d'atteindre
facilement
Mombassa
et
Zanzibar, termes des voyages actuels.
Les
nakhoudas
choisissent
le
début
des
alizés
pour
descendre
sur
Zanzibar
pour
deux
raisons
:
à
cette
époque
les
vents
ne
sont
pas
trop
forts
et
la
mousson
du
N.E.
(l'
aziab
ou
badoub
chez
les
arabes)
provoque
un
courant
de
dérive
superficielle.
Ce
courant
se
transforme
d'ailleurs
entre
le
5
e
et
10
e
parallèle
sud
pour
s'inverser
et
devenir
le
contre-courant
équatorial
que
les
arabes
utilisaient
quand
ils
naviguaient
de
Mombassa
aux
Cômores,
zone
où
la
mousson
du
N.E. n'existe plus et où les vents locaux sont faibles.
Les
baghlas
vont
passer
tout
l'hiver
et
le
printemps
en
Tanzanie,
au
Kenya,
où
ils
vont
assurer
une
grosse
partie
du
commerce
local
(30
%
environ)
et
touchent
à
cette
occasion
les
ports
de
Lamu
et
de
l'embouchure de la Rufiji.
Le
retour
sur
le
golfe
d'Aden
aura
lieu
à
l'apparition
de
l'étoile
Aawa
(constellation
du
chien)
vers
le
2
avril.
La
période
favorable
pour
entreprendre
ce
voyage
est
plus
longue
qu'à
l'aller.
Le
nakhouda
peut
attendre
jusqu'au
début
de
juin.
Le
voyage
retour
s'effectue
par
les
alizés
du
S.E.
qui,
à
cette
époque,
remontent
plus
vers
l'équateur
qu'en
hiver.
A
hauteur
de
l'équateur,
la
mousson
du
S.W.,
le
barri
arabe
(ou
encore
djounoud
),
permet
au
baghla
de
rejoindre
le
golfe
d'Aden.
Le
baghla
est
le
type
du
navire
long-courrier
arabe
moderne.
De
forme
très
ventrue,
il
ressemble
à
une
mule,
d'où
son
nom
arabe
de
baghla.
Ce
n'est
pas
le
plus
gros
des
longs-
courriers
puisque
son
tonnage
moyen
est
de
5
à
10.000
quoucera
(3)
alors
que
les
booms
peuvent
atteindre
20.000
quoucera.
Mais
le
boom,
à
la
différence
des
baghlas
que
l'on
rencontre
dans
tout
l'Océan
Indien
,
voyage uniquement entre Bassorah (4) et Bombay.
Le
baghla
est
donc
un
navire
ventru,
non
ponté
au
centre.
Les
marchandises
sont
posées
dans
le
ventre
du
navire,
sans
arrimage
véritable.
Des
madriers
posés
au
sommet
des
marchandises
permettent
de
joindre
l'avant
à
l'arrière
du
bateau.
Le
baghla
peut,
à
la
différence
des
navires
européens,
ne
pas
être
ponté
puisqu'il
navigue
uniquement
vent
arrière
ou
grand
largue
et
que
la
lisse
est
très haute sur l'eau.
L'avant
du
navire,
qui
est
ponté,
représente
environ
le
quart
de
la
longueur
totale
du
navire,
Il
y
a
plusieurs
ponts
(ou
étages)
superposés
dans
lesquels
vivent
les
esclaves
et
les
mousses.
C'est
là,
qu'ils
préparent
la
cuisine
(
senouna
),
écrasent
le
grain
pour
faire
la
farine
des
galettes,
pilent
les
épices
et
entretiennent
le
kittlé
,
bouilloire de cuivre toujours pleine d'infusion de
kieher
.
L'arrière
est
plus
élevé
que
l'avant.
L'état¬major
se
tient
sur
la
dunette.
On
y
trouve
le
nakhouda
(commandant),
parfois
le
rouban
(pilote)
que
l'on
embarque
pour
les
voyages
que
ne
connait
pas
le
nakhouda,
le
sorandj
ou
serendi
qui
est
le
maître
d'équipage
et
le
sekhan
(timonier).
Il
y
a
quatre
ou
cinq
soukounis
(pluriel
de
Sekkan)
sur
les
baghlas
,
deux
seulement
sur
les
sambouks
et
les
zarougs
(navires
de
moindre
taille). Le quart est de six heures, à prendre à minuit.
Sous
la
dunette
se
trouve
la
chambre
d'honneur
des
hôtes
de
marque
(en
général
l'armateur
ou
son
subrécargue).
Cette
chambre
bénéficie
de
deux
fenêtres
sculptées
dans
le
tableau
arrière
(5).
Sur
les
bateaux
particulièrement
soignés,
il
y
a
même
des
fenêtres
latérales.
Il
faut
noter
enfin
que
le
gouvernail
est
extérieur
au
navire
et facilement amovible.
Le
baghla
est
un
gros
navire
qui
nécessite
un
important
équipage.
Vingt
à
quarante
hommes
sont
nécessaires
pour
virer
de
bord,
ce
qui
donne
une
idée
de
l'importance
de
l'équipage.
Ce
nombre
tend
à
diminuer
avec
l'introduction
du
moteur
qui
permet
de
virer
de
bord
plus facilement.
Nous
avons
vu
que
l'état-major
du
navire
se
tient
sur
la
dunette
autour
du
nakhouda
commandant
du
navire.
Le
nakhouda
actuel
représente
un
curieux
mélange
de
l'arabe
traditionnel
et
de
l'européen.
Ouvrir
le
coffre
à
navigation
du
nakhouda
près
de
son
lit
qui
se
trouve
sur
la
dunette,
laisserait
perplexe
plus
d'un
marin.
On
y
trouve
pêlemêle,
les
vieux
triangles
arabes
qui
permettent
une
lecture
grossière
de
la
hauteur
des
étoiles,
les
instructions
nautiques
arabes
écrites
à
la
main,
une
paire
de
jumelles
françaises,
une
carte
marine routière européenne couvrant le voyage d'Aden à Orrniiz.
En
fait,
ce
bric-à-brac
sert
plus
à
convaincre
les
autres
de
la
science
du
nakhouda
,
que
lui-même
de
la
route
qu'il
doit
faire.
Le
nakhouda
moderne
est
avant
tout
un
piètre
navigateur
muni
d'une
mémoire
prodigieuse.
Piètre
navigateur,
on
le
constate
par
le
simple
fait
des
nombreux
naufrages
dûs,
non
aux
conditions
atmosphériques,
mais
à
des erreurs d'estimation monumentales.
Un
bon
nakhouda
est
avant
tout
un
marin
qui
a
passé
dix
ans
de
sa
vie
à
naviguer
sur
le
même
itinéraire
aux
côtés
d'un
ancien
qui
lui
expliquait
chaque
amer
remarquable,
lui
apprenait
à
écouter
les
bruits
de
la
mer,
à
lire
les
signes
des
nuages,
à
interpréter
tout
changement météorologique.
La
tête
d'un
nakhouda
est
une
véritable
encyclopédie
qui
peut
réciter
tout
ce
que
l'on
rencontrera
au
cours
du
voyage,
récit
évidemment
enveloppé
dans
des
périphrases
où
se
mêle
le
merveilleux,
sans
quoi,
il
n'est
plus
de
vie
passionnante
pour
un
yéménite.
Henri
de
Monfreid
narrait
cette
histoire
d'un
zaroug
qui
faisait
le
cabotage
sur
la
côte
du
Yémen
et
qui
était
commandé
par
un
nakhouda
aveugle.
Le
vénérable
vieillard
était
assis
à
l'arrière
de
son
zaroug
avec
son
arrière
petit-fils
à
ses
côtés.
D'après
le
bruit
des
vagues
qu'il
entendait
et
la
couleur
de
l'eau
que
lui
indiquait
son
petit-fils,
il
pouvait
donner
le
nom
du
banc
corallien
sur
lequel
il
se
trou
vait.
Le
nakhouda
est
vraiment
le
personnage
important
du
bord
et
les
autres
membres
de
l'équipage
lui
doivent
une
obéissance
absolue.
L'équi-page,
nous
l'avons
vu,
est
nombreux
et
chacun
y
occupe
une
place précise.
Le
deuxième
personnage
du
bord
est
le
Sorandj
ou
Serendi.
C'est
le
maître d'équipage, à la fois second et bosco des navires européens.
Le
querani
est l'écrivain du bord. 1I est à la fois fourrier et secrétaire.
L'
oukil
al
masarif
est
le
commis.
Il
occupe
une
place
très
importante
sur
un
navire
qui
fait
des
voyages
d'un
mois
et
plus.
Il
est
chargé
du
ravitaillement du bateau à chaque escale.
Il
y
a
quatre
ou
cinq
Soukounis
(singulier
Sekkan)
qui
occupent
le
poste
de
timonier
sur
les
baghlas.
Le
quart
est
de
six
heures,
ce
qui
peut
paraître
long,
mais
il
faut
se
rappeler
que
ces
navires
marchent
grand largue.
Parmi
les
autres
membres
de
l'équipage,
notons
le
moquadem
al
ghouddam
qui
est
le
veilleur.
Sa
place
est
sur
la
proue.
Son
rôle
est
primordial
en
vue
de
terre
pour
éviter
les
récifs
coralliens
très
nombreux.
Le
meunier
ou
tahan
est
chargé
de
moudre
le
blé
et
de
faire
les
galettes,
cependant
que
le
seghir
(mousse)
sert
les
boissons
et
les
repas
et
accompagne
l'
Oukil
Al
Masarif
pour
faire
les
commissions
lors des escales (légumes et poisson séché).
Le
reste
de
l'équipage
est
composé
de
matelots
(
bahari
)
qui
s'occupent de la manoeuvre et du chargement du navire.
La
grande
majorité
des
marins
sont
hadramis
ou
yéménites
(tribu
Hakmi).
On
les
reconnait
facilement
à
leur
peau
très
brune,
brûlée
par
les
embruns
et
le
soleil,
à
leurs
yeux
rouges,
à
leurs
jambes
arquées
avec
des
mollets
ronds.
Par
contre,
les
nakhoudas
au
long
cours sont tous originaires de Mukalla.
Les
Yéménites
Hakmis
se
coiffent
du
«khs
cran»
(sorte
de
tarbouche).
Ceux
du
Hadramout
portent
un
turban
serré
sur
les
oreilles
comme
les Sikhs.
Ces
marins
qui
naviguent
énormément
ont
un
langage
très
particulier,
composé
de
mots
empruntés
un
peu
partout
et
les
spécialistes
sont
loin
d'être
d'accord
sur
la
terminologie
habituelle
(6)
.
L'architecture
navale
yéménite
a
été
de
tous
temps
peu
brillante.
Poussés
à
une
construction
peu
solide
par
les
conditions
de
navigation
faciles
de
l'époque,
les
architectes
arabes
ont
bénéficié
au
XV
e
et
XVI
e
siècles
des
apports
des
architectes
portugais
auxquels
ils
ont
emprunté
un
certain
nombre
d'idées.
Auparavant
déjà,
les
apports
indiens avaient beaucoup fait pour le perfectionnement du boutre.
Depuis
le
XVIII
e
,
on
assiste
de
nouveau
à
une
dégradation
très
nette
de
l'architecture,
due
en
partie
à
l'introduction
de
pièces
métalliques
dans
la
construction.
L'entrée
en
service
des
moteurs
a
encore
accentué
la
dégénérescence
ces
dernières
années
et
les
boutres
modernes
n'ont
plus
guère
des
qualités
qui
ont
fait
la
réputation
de
leurs ancêtres.
Il
reste
actuellement
très
peu
d'architectes
dans
la
golfe
d'Aden
et
ils
sont
tous
regroupés
à
Aden
et
Mukalla,
A
Tadjourah
cependant,
un
vieux
maitre
yéménite
continue
à
construire
un
ou
deux
zeimas
ou
zarougs
par
an.
Le
gros
problème
pour
la
construction
est
celui
du
bois,
car
il
fait
totalement
défaut
sur
les
côtes
inhospitalières
du
Golfe et de la Mer Rouge.
boom
Comme
en
Europe,
la
coque
est
construite
au¬tour
de
la
quille,
pièce
maîtresse
du
navire.
Elle
est
fabriquée
en
teck
provenant
de
Calicut,
aux
Indes
(le
banteak).
La
quille
n'a
aucune
semelle
sous
elle,
et
lors
des
échouages
très
fréquents,
elle
est
la
proie
des
tarets
qui
la
rongent rapidement.
L'étrave
également
en
banteak
est
directement
rapportée
sur
la
quille
et
la
jonction
de
ces
deux
pièces
constitue
un
point
faible
du
navire.
Les
membrures
sont
en
arg
ou
en
elb
qui
sont
des
bois
très
résistants
provenant
des
hauts-plateaux
yéménites.
Sur
les
petites
unités,
zarougs
ou
zeimas
,
on
utilise
de
plus
en
plus
cependant
le
bois
de
palétuvier
particulièrement
dur
et
imputrescible,
provenant
de
Khor
Angar, sur la côte de Djibouti.
L'arg,
l'elb
et
le
palétuvier
sont
des
arbres
aux
formes
très
tourmentées
dans
lesquels
le
charpentier
pourra
trouver
la
courbure
qu'il
désire.
Les
qualités
intrinsèques
du
bois
sont
malheureusement
gâchées
par
les
raccords
inévitables
entre
les
différentes
sections
toujours
trop
courtes.
Cette
faiblesse
congénitale
des
membrures
est
accentuée
par
le
fait
qu'il
n'existe
pas
de
barrots,
mais
seulement
deux
ou
trois
poutres
transversales,
le
navire
n'étant
pas
ponté
(tout
au
moins
dans
sa
partie
centrale),
tout
ceci
donne
une
souplesse
étonnante à la coque.
Cette
souplesse
était
parfaitement
compréhensible
quand
le
boutre
marchait
vent
arrière
et
avait
des
bordés
liés
souplement
entre
eux.
Or
il
n'en
est
rien
aujourd'hui.
Le
moteur
permet
de
remonter
un
peu
au
vent,
ce
qui
soumet
le
navire
aux
chocs
secs
du
clapot
et
de
la
houle.
Les
bordés
n'ont
plus
de
liaison
souple
en
fibre
de
cocotier,
mais sont au contraire cloutés.
Les
bordés,
qui
sont
réalisés
en
benteak
ou
en
sag
(bois
provenant
aussi
de
Calicut)
sont
de
nos
jours
simplement
cloués
sur
l'étrave,
la
quille
et
les
couples
éventuels.
Ces
clous
non
protégés,
rouillant
très
rapidement, provoquent des points faibles sur la coque.
Le
gouvernail
mérite
une
attention
particulière.
Sur
tous
les
navires
arabes,
quel
que
soit
leur
tonnage,
le
safran
est
extérieur
pour
permettre
son
enlèvement
lors
des
échouages.
Sur
les
baghlas
,
ce
safran
est
orienté
par
un
système
de
palans
disposé
de
chaque
côté
de
l'arrière.
Conséquence
amusante
de
cette
pratique,
le
navire
saisi
par la police se voit retiré son safran, ce qui l'empêche d'appareiller.
Le
pont,
quand
il
existe,
à
l'avant
et
à
l'arrière,
est
en
teck
ou
en
pin
d'Europe.
Le
calfatage
se
fait
par
des
bourrelets
insérés
entre
les
bordés.
Le
tout
est
largement
imprégné
d'huile
de
requin
et
la
carène
est
badigeonnée
d'un
mélange
de
chaux
de
Mukalla
et
d'huile
de
poisson (ou de graisse de chameau dans certains cas).
Le
carénage
du
navire
calfaté
dans
de
telles
conditions
doit
être
très
fréquent,
il
se
pratique
par
échouage
du
navire
en
profitant
des
faibles
marées
du
Golfe.
Cette
protection
n'empêche
nullement
le
pourrissement du cloutage.
La
mâture
de
nos
jours
tend
à
perdre
de
plus
en
plus
son
importance.
Pour
les
gros
booms
et
baghlas
,
la
voile
triangulaire
des
ancêtres
a
diminué
de
surface
pour
n'avoir
tendance
à
devenir
qu'une
voile
auxiliaire
du
moteur.
Elle
représente
cependant
encore
5
à
600
m²
sur
un
baghla,
peut-être
800
sur
un
boom.
Mais
on
est
loin
des
3.000
m² de voile que supportait le splendide
sambouk
de l'Hadramout.
Les
performances
de
ces
médiocres
navires,
mauvais
manœuvriers
du
fait
de
leur
incapacité
à
virer
vent
debout,
et
à
remonter
au
vent,
sont
maximales
sous
voile
par
un
vent
force
4
à
5.
Leur
vitesse
se
situe à cette force aux alentours de six nœuds.
ALAIN CLOUET
notes
:
(1)
Les
yéménites
ne
sont
pas
les
seuls
à
toucher
Zanzibar.
On
voit
aussi des
baghlas
persans et paskistanais.
(2)
Les
saisons
yéménites
sont
un
peu
décalées
par
rapport
aux
nôtres.
On
a
approximativement
:
été
:
2
avril
;
automne
:
2
juillet
;
hiver : 2 octobre ; printemps : 2 janvier.
(3)
Quoucera
:
unité
de
tonnage
yéménite.
La
quoucera
désigne
le
couffin de dattes arabes. Elle pèse 70 kg.
(4)
Bassorah,
Bombay,
Aden
et
Zanzibar
sont
cités
comme
ports
de
référence
d'une
zone.
En
fait,
ces
baghlas
transitent
aussi
par
des
ports moins importants.
(5)
Il
faut
noter
que
le
tableau
arrière
est
d'introduction
relativement
récente
et
dû
à
l'influence
occidentale.
Les
anciens
baghlas
avaient l'arrière ponté.
(6)
Dans
cet
article,
le
vocabulaire
est
généralement
emprunté
au
langage Hakmi.